Admirateurs et nostalgiques de Mao Zedong célèbrent, jeudi 26 décembre, le 120ème anniversaire de la naissance du révolutionnaire qui fonda la Chine communiste, aujourd'hui divisée sur son héritage. Douze décennies représentent un jalon symbolique en Chine, où le temps est traditionnellement découpé en cycles de soixante ans.
Après trois décennies de réformes qui ont introduit le capitalisme en Chine, Mao est devenu un point de ralliement pour ceux qui déplorent l'écart abyssal entre riches et pauvres et la corruption endémique, source d'inquiétude majeure pour le Parti communiste chinois (PCC), qui s'applique à faire taire toute contestation.
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En vénérant Mao, l'aile gauche du parti tente ainsi de faire pression sur le pouvoir, favorable à une certaine libéralisation économique, tout en évitant d'entrer ouvertement en dissidence. Selon une source politique, les membres du Comité permanent du bureau politique du PCC participeront aux commémorations« pour apaiser l'aile gauche du parti », après les décisions du troisième plénum du XVIIIe Comité central, dont l'assouplissement de la politique de l'enfant unique et une série de réformes économiques et sociales.
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DES CÉRÉMONIES « GRANDIOSES »
Mais si les principaux dignitaires du PCC devraient participer aux commémorations prévues à Pékin, de nombreuses cérémonies ont été annulées en province, selon des sources proches du pouvoir. « Il y aura une représentation de haut niveau, mais un nombre réduit d'événements », a dit l'une d'elles. « Les cérémonies doivent être grandioses, sinon les gens ne seront pas contents », souligne une autre source.
Les partisans du « grand timonier », qui dirigea la Chine pendant plus d'un quart de siècle, sont attendus par milliers dans sa ville natale de Shaoshan, dans la province centrale du Hunan, où il a passé sa jeunesse. Ces cérémonies évoqueront « une image sans tache de Mao, grand dirigeant révolutionnaire », assure Kirk Denton, professeur à l'Université américaine de l'Ohio, qui a mené des recherches à Shaoshan.
Les révélations en octobre dans la presse chinoise du coût des célébrations – l'équivalent de 2,5 milliards de dollars – ont fait scandale sur Internet, jusqu'à ce que le président Xi Jinping demande un hommage « solennel, simple et pragmatique ». Son corps embaumé reste exposé au mausolée de la place Tiananmen à Pékin, où trône toujours son portrait, et toute discusion ou publication à son sujet sortant de la ligne officielle demeure interdite.
FORTE POPULARITÉ
Après sa mort en 1976, le PCC a décrété que Mao avait eu« raison à 70 % et tort à 30 % ». Mais selon un sondage publié mardi par le Global Times, un quotidien du PCC, les Chinois seraient encore plus bienveillants à son égard. 85 % des sondés se sont déclarés d'accord avec le fait que ses mérites dépassent ses erreurs, contre 12 % qui n'étaient pas d'accord. Près de 90 % des sondés ont aussi estimé que « le plus grand mérite » de Mao était d'avoir « fondé une nation indépendante grâce à la révolution ».
« L'anniversaire est un grand jour pour le peuple chinois », a déclaré, jeudi, Shen Yang, une homme d'affaires de 48 ans qui fera le voyage à Shaoshan. « Je crois que la nouvelle Chine créée par Mao est grandiose, et c'est pour cela que nous devrions lui rendre hommage et croire en lui », dit-il, précisant qu'il déposera une gerbe de fleurs à la maison natale de Mao et s'offrira pour l'occasion un repas de nouilles, le mets traditionnel des anniversaires.
Une stricte censure empêche les Chinois d'accéder à toute autre version que celle du PCC, soigneusement expurgée, des vingt-sept ans durant lesquels Mao a dirigé leur pays. La « grande famine » des années 1958-1962 et son bilan catastrophique restent ainsi un phénomène largement ignoré du grand public. Parmi les sondés, les jeunes et les plus instruits se sont montrés plus critiques à l'égard de Mao, selon le Global Times.
FAMINES, GUERRE CIVILE, RÉPRESSIONS
Mao Zedong, qui mena le Parti communiste chinois à la victoire en 1949 après une sanglante guerre civile, reste toutefois, pour certains Chinois, un tyran dont les désastreuses campagnes politiques ont coûté des millions de morts au pays. Les historiens estiment qu'au moins un million de Chinois ont été massacrés dans le mouvement de redistribution des terres des années cinquante, sans compter les purges d'opposants réels ou supposés destinées à consolider son pouvoir.
Bien plus sanglant encore a été le « grand bond en avant » déclenché en 1958 pour rattraper les économies occidentales, qui laissera derrière lui en 1962 plus de 40 millions de morts, la plupart de famine. Dès 1966 et pour dix ans, il est suivi de la« révolution culturelle », déclenchée par Mao pour reprendre les rênes et éliminer ses adversaires, plongeant le pays dans une quasi-guerre civile qui a fait un demi-million de morts pour la seule année 1967.
« La plus grande faute de Mao a été d'interrompre la progression de la Chine vers un système constitutionnel et la démocratie », estime l'historien Zhang Lifan dans un commentaire sur Internet, à l'occasion de l'anniversaire. « Il a entraîné la Chine dans la guerre de classes et la voie sans issue du régime de parti unique ». Le président Xi Jinping a lui-même souffert des conséquences de la révolution culturelle puisqu'après l'emprisonnement de son père, il avait été envoyé vivre à la campagne, comme des millions de jeunes urbains.
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Mais le PCC continue « de se servir de Mao comme d'une sorte de figure paternelle de la révolution », source de « sa légitimité et de son discours sur la libération nationale », relève Kirk Denton. Si le PCC a conservé le pouvoir après la mort de Mao, c'est pourtant en pratiquant une politique économique à l'exact opposé de celle préconisée par l'ancien leader.
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