Pilinvest, la société belge à portefeuille établie à Bruxelles par Bernard Arnault, le patron de LVMH, a déposé il y a quelques jours – avec beaucoup de retard – ses derniers comptes annuels à la Banque nationale de Belgique. Ils indiquent qu'au cours des années 2010 et 2011 cette société qui contrôle une part importante du capital du groupe LVMH – 64,26 % au total selon la banque de données Graydon – a réalisé 85,7 millions d'euros de bénéfices. Mais elle n'a pas payé un centime d'impôts dans sa patrie d'accueil, le pays dont M. Arnault espère toujours acquérir la nationalité.
Une situation parfaitement légale, souligne l'entourage du patron de LVMH. Il n'est pas démenti : Pilinvest a bénéficié des largesses de la législation belge. Celle-ci autorise notamment la déduction de 95 % du montant total des dividendes versés à une société holding par les sociétés dont elle détient des parts. Et les plus-values d'une telle entreprise sont également exemptes d'impôts.VASTES MOUVEMENTS DE CAPITAUX
Pilinvest a également recouru au système des "intérêts notionnels". Ces derniers sont déductibles... et fictifs : instaurés en 2005 sous la pression de la Commission européenne, ils visaient à établir une équité entre les sociétés se finançant par l'emprunt – dont les intérêts sont déductibles – et celles qui se financent grâce à leurs actionnaires (fonds propres).
L'introduction de ce système qui fait que plus une société est capitalisée, moins elle paie d'impôts, a entraîné des vastes mouvements de capitaux vers la Belgique. En 2011, le capital de Pilinvest a gonflé de quelque 2,8 milliards d'euros par l'apport d'actions.
De grandes multinationales ont installé dans le royaume leur "banque interne" qui joue le rôle de centre de financement et acquitte, en moyenne, 0,4 % d'impôt. Un chiffre étonnant pour un pays qui détient, en revanche, le record européen des charges sociales et de la taxation sur le travail, selon l'OCDE.
PARADIS FISCAL
Le quotidien économique De Tijd a publié samedi 2 février une longue enquête sur ces "véhicules financiers" très rémunérateurs. Elle conclut que la Belgique est réellement un paradis fiscal pour quelque 20 % des 100 plus grandes sociétés au monde.
Au total, le hit parade établi par le journal indique que les 25 premières sociétés de ce classement disposent, en Belgique, de 336 milliards de fonds propres, sur lesquels elles acquittent ensemble 180 millions d'euros d'impôts, réalisant un bénéfice global estimé de 25,4 milliards. Le volume d'emplois créés grâce à ce mécanisme est de... 760 unités.
C'est Arcelor Mittal Finance qui, avant sa récente annonce d'un déménagement vers Luxembourg, disposait des fonds propres les plus importants en Belgique : 46 milliards d'euros, pour 37,4 milliards au brasseur Anheuser-Busch Inbev, et 36,7 à Hewlett-Packard.
Des Françaises comme Atlas Services Belgium (France Telecom), GDF Suez, GMR (Carrefour), Total, EDF et Danone figurent également dans le "Top 25".
PROTÉGER L'INTÉGRITÉ DU CAPITAL
Le groupe LVMH est donc en bonne compagnie et bénéficie lui aussi, à l'évidence, des mécanismes belges permettant d'esquiver au moins une partie de l'impôt des sociétés.
Son PDG maintient toutefois qu'à titre personnel, il continuera à payer ses impôts en France. Il affirme également ne pas vouloir éluder les droits de succession, même si son autre création belge, la Fondation Protectinvest, pourrait le lui permettre.
Selon l'entourage du PDG, le seul but de cette fondation est de protéger l'intégrité du capital du groupe jusqu'en 2023, le moment où le dernier enfant de M. Arnault atteindra l'âge de 25 ans. Si le magnat veut devenir belge, ce serait pour éviter tout recours de la justice française contre Protectinvest.
Les députés de la commission des naturalisations devraient prendre une décision en avril : ils disposent désormais de tous les avis requis. Deux sont défavorables (l'Office des étrangers et le parquet de Bruxelles), un positif (la Sûreté de l'Etat). Et M. Arnault a démontré que son casier judiciaire était vierge.