Paris et Berlin se livrent à des échanges tendus à l'approche du sommet européen des 28 et 29 juin à Bruxelles. La chancelière allemande, Angela Merkel, a réagi vivement vendredi 15 juin, lors d'une conférence d'hommes d'affaires à Berlin, aux attaques dont elle est l'objet, notamment en France, pour sa défense à tous crins de la rigueur.
Les deux pays entretiennent des relations compliquées, car ils s'opposent sur les initiatives à prendre en matière de croissance pour compléter le traité budgétaire. France et Allemagne ont deux approches différentes. Quand François Hollandeplaide pour des euro-obligations (eurobonds), un outil de mutualisation des dettes européennes, ou l'utilisation de financements européens pour lancer ou accélérer la mise en œuvre de grands projets structurants, Angela Merkel ne veut pas accroître les dettes publiques et préconise des réformes structurelles, notamment sur le marché du travail, qui permettent aux pays européens d'être plus compétitifs.
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Pour la première fois depuis douze ans, Paris et Berlin ne devraient pas présenter un texte commun pour ce sommet. De son côté, l'UMP accuse l'exécutif français d'affaiblir la relation franco-allemande.
- Merkel affiche sa fermeté
Très attaquée, en particulier en France, pour sa défense à tous crins d'une politiquede rigueur, Angela Merkel a expliqué vendredi que ce "manque de confiance entre les acteurs" de la zone euro, ne peut être résolu qu'en s'attaquant "aux racines de la crise", à savoir "l'endettement et les écarts de compétitivité". "Il y a un faux débat qui est apparu, opposant la croissance et la rigueur budgétaire. C'est n'importe quoi", a-t-elle tempêté. "Et la médiocrité ne doit pas devenir l'étalon" en zone euro, s'est emportée Mme Merkel, très applaudie.
Rappelant qu'elle plaidait pour un contrôle budgétaire beaucoup plus strict en zone euro, elle a notamment égratigné la France, appelant à observer "l'évolution du coût du travail en France et en Allemagne".
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- Ayrault tente de calmer le jeu... mais ne lâche rien sur le fond
Le matin même, Jean-Marc Ayrault a tenté de calmer le jeu avec Berlin, tout en restant ferme sur le fond, après avoir haussé le ton contre l'Allemagne, la veille.
"Il faut que l'Allemagne et la France, main dans la main, trouvent les 28 et 29 juin[au sommet européen] une solution pour sortir l'Europe de la crise", a affirmé M. Ayrault vendredi sur Europe 1, y associant "les autres partenaires européens". Constatant que "l'exigence de réponses à la crise, et en particulier de mesures qui vont relancer la croissance en Europe, font partie du débat", le premier ministre s'est dit "sûr" que les deux pays "trouveront" une solution. Mais, a-t-il prévenu, "cela passe par un dialogue plus fort que ce qui a eu lieu jusqu'à présent" avec Berlin.
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Interrogé sur l'existence d'un "front anti-Merkel" qui serait essentiellement composé de la France et des pays du sud du continent (Espagne, Portugal, Grèce...), M. Ayrault a rétorqué : "Absolument pas." "Ça serait une mauvaise voie (...), une grave faute politique qui n'aboutirait à aucune solution", a-t-il ajouté.
- Des échanges tendus la veille entre Paris et Berlin
La veille, de manière inattendue, M. Ayrault a invité Angela Merkel à ne pas "selaisser aller à des formules simplistes". "Il faut prendre les choses avec sérieux et courage", a-t-il déclaré à la presse.
Le chef du gouvernement répondait à la chancelière allemande, qui a prévenu le même jour que Berlin ne pouvait se satisfaire de "solutions de facilité". Dans un discours prononcé jeudi au Bundestag, chambre basse du Parlement allemand, consacré au prochain sommet du G20 au Mexique, Angela Merkel a mis en garde contre la tentation de faire reposer la résolution de la crise mondiale sur les seules épaules de l'Allemagne, dont les "forces (...) ne sont pas illimitées".
Avant de souligner que l'Europe n'était pas la seule à devoir fournir des efforts."Tout le monde doit arrêter de financer la croissance avec de nouvelles dettes", a-t-elle clamé, surtout en direction des Etats-Unis, et non de la France.
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Cela n'a donc pas empêché M. Ayrault de lui répondre du tac au tac. Sur Europe 1 vendredi, ce dernier a justifié sa pique lancée la veille en direction de Berlin en assurant qu'elle ne s'adressait "pas spécialement à Mme Merkel" mais "à tous les leaders européens".
- Paris affiche son rapprochement avec l'opposition allemande
L'attitude de Paris peut avoir mécontenté Berlin. Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont reçu mercredi à Paris les trois dirigeants de la principale formation d'opposition allemande, le parti social-démocrate (SPD), avec qui ils ont constaté"leur vision commune" sur la stabilité budgétaire et la croissance.
Une rencontre inédite qui avait lieu au moment où Mme Merkel tentait de trouver un accord avec les mêmes dirigeants du SPD afin qu'ils acceptent de voter le pacte budgétaire. Cette entrevue a été perçue comme une manière de faire pression sur Angela Merkel, à deux semaines du sommet européen. Les sociaux-démocrates allemands semblaient avoir, même s'ils s'en défendent, le même objectif.
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Vendredi, M. Ayrault s'est défendu de vouloir affaiblir Mme Merkel, alors que la chancelière a besoin d'une majorité des deux tiers - et donc des voix du SPD - pourfaire voter le traité budgétaire européen au Parlement allemand.
"Les sociaux-démocrates en Allemagne ont les mêmes inspirations que nous, c'est-à-dire donner de l'air à la croissance", a-t-il relevé. Il est donc "bien normal qu'on discute à la fois avec Mme Merkel et son parti, et qu'on discute aussi avec l'opposition", a-t-il affirmé sur Europe 1.
- Nouvelle sortie de Montebourg contre "l'aveuglement idéologique" de Merkel
Par ailleurs, de nouveaux propos d'Arnaud Montebourg n'ont pas contribué à réchauffer le climat entre les deux pays. Le ministre français du redressement productif a estimé jeudi que la politique d'austérité prônée par l'Allemagne a entraîné sept pays européens dans la récession. "Certains dirigeants européens, Mme Merkel en tête, sont frappés d'aveuglement idéologique", a-t-il assené dans un entretien à L'Usine nouvelle.
M. Montebourg n'en est pas à sa première critique virulente de l'Allemagne et de sa chancelière. En novembre 2011, l'ancien candidat à la primaire PS avait suscité une polémique en prônant une confrontation dure avec Mme Merkel, accusée de mener"une politique à la Bismarck" et de faire en sorte que l'Allemagne fasse "fortune" sur"la ruine" des autres pays de la zone euro.
- L'UMP accuse l'exécutif français de "mettre en scène l'opposition franco-allemande"
Dans ce contexte, la droite française a critiqué l'exécutif, l'accusant d'affaiblir le couple franco-allemand.
François Hollande "défie tous les jours l'Allemagne", alors que l'Europe est en"pleine crise" et qu'un "lien fort" entre Paris et Berlin est indispensable, s'est alarmé vendredi sur i-Télé le secrétaire général de l'UMP, Jean-François Copé. "Le problème n'est pas de faire un bras de fer avec l'Allemagne. Il est de voir comment, avec l'Allemagne, on peut porter l'avenir de l'Europe dans cette période", a-t-il souligné.
Même tonalité du côté de l'ancien conseiller de l'Elysée, Henri Guaino. "Depuis le début du quinquennat, on met en scène la dissension et l'opposition franco-allemande, je pense que c'est une erreur. Nous avions mis en scène l'amitié franco-allemande, cela nous permettait tous les jours de négocier avec les Allemands pour éviter une catastrophe. (...) Le ton monte de chaque côté et si le couple franco-allemand ne fonctionne pas dans les circonstances actuelles, ce sera gravissime", a-t-il mis en garde vendredi sur Europe 1.
L'ancien ministre des affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, avait déjà qualifié de "très grave maladresse" la réception mercredi à l'Elysée et Matignon des leaders du SPD. "Je crains que ce ne soit là la première grosse bévue de la politique européenne du nouveau gouvernement", a affirmé M. Juppé, jugeant que cela n'allait pas contribuer à "créer, bien évidemment, un climat de sérénité et de confiance avec la chancelière" allemande. Or, a-t-il argumenté, "il est absolument fondamental que nous arrivions à une très bonne entente avec l'Allemagne", la situation dans la zone euro étant "très grave".
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