Comment ne comprenez-vous pas, que « Je suis Charlie », ça ne signifie pas approuver forcément le contenu de « Charlie Hebdo »? Ça signifie être pour la liberté de la presse, pour la liberté d’expression, pour le droit à l’irrévérence, même quand on n’est pas d’accord avec ce qui est publié ou dessiné. « Je suis Charlie », ça signifie : je suis pour qu’on ait le droit de critiquer les religions, comme tout système de pensée et de croyance, et même d’en rire, sans craindre pour sa vie, pour un article ou un dessin. Croyez-vous vraiment qu'il suffise d’un dessin choquant pour faire douter un vrai croyant ? D’innombrables personnes en France et dans le monde entier se sont mobilisées au nom de la liberté de la presse attaquée par des tueurs, comme si nous vivions dans la première dictature religieuse venue. Et vous, qui avez la chance de vivre dans un pays démocratique, vous vous proclamez fièrement contre la liberté d’expression…
Certains d’entre les #JeNeSuisPasCharlie vont même jusqu’à justifier la barbarie, en commentant sur Facebook ou en tweettant que les dessinateurs l’ont bien cherché, l’ont bien mérité : « Ils n’avaient pas à insulter notre Prophète », ricanez-vous. Comment ne comprenez-vous pas qu’à travers « Charlie », ce n’est pas seulement la liberté d’expression de ceux qui ne pensent pas comme vous, qu’on a voulu assassiner. C’est aussi la vôtre. Rappelez-vous qu’on est toujours le mécréant d’un plus pratiquant, d’un plus religieux, d’un plus radical, d’un plus fanatique que soi !
Comment pouvez-vous, vous qui vivez dans un pays démocratique, mépriser une liberté d’expression que bien des peuples nous envient… Comme au Maghreb, où beaucoup de journalistes et de dessinateurs donneraient cher pour pouvoir lire ou publier des « Charlie Hebdo » sans craindre pour leur vie. Ecoutez Dilem, dessinateur algérien, souvent menacé de mort, sur RFI : « Quand il y a eu les dessins sur Mahomet, j’étais l’un de ceux qui prenaient la défense des dessinateurs danois en disant qu’il ne faut pas égorger quelqu’un parce qu’il a fait une caricature. Il y a des choses un peu plus sérieuses dans la vie. Il y a eu, ici, des massacres, y compris dans des rédactions. Dans le journal “L’Hebdo libéré”, des gens ont aussi massacré en 1994 la rédaction (...) Je vais vous faire un aveu : depuis quinze ans, je n’ai pas mis les pieds dans mon journal. Je dessine à partir de chez moi ou de quelque part en dehors pour ne pas donner d’occasion à ceux qui peuvent me faire du mal ou faire du mal à ceux qui font le même travail que moi. Je sais qu’il y a un risque inhérent au métier que l’on fait aujourd’hui. Je sais qu’il ne faut pas plaisanter avec ces gens-là. On est dans la pathologie la plus absolue, dans la barbarie extrême. »
Face au massacre de « Charlie », il ne doit pas y avoir d’un côté les démocrates, croyants et athées, attachés à la liberté d’expression, et de l'autre, des croyants allergiques à l’irrévérence. Il ne devrait y avoir que des citoyens, des républicains prêts à se battre pour défendre des idées qu’ils ne partagent pas toujours. Comme le rappelait Jeannette Bougrab, compagne de Charb, assassiné mercredi : « Ils sont morts pour nous, pour que nous puissions rester libre en France. » En proclamant fièrement « JeNeSuisPasCharlie », vous ne vous coupez pas seulement des Français de tous bords, croyants ou pas, tous unis pour la liberté d’expression. Vous ne facilitez pas la tâche de toutes celles et ceux qui se mobilisent en permanence, pour lutter contre les amalgames entre les extrémistes et la majorité silencieuse musulmane. Car comment expliquer qu’il ne faut pas faire d’amalgames, quand nombre d’entre vous affichent crânement #JeNeSuisPasCharlie, comme si pour vous, un dessin qui vous choque était plus grave qu’un massacre collectif ?
Par Corine Goldberger, chef de rubrique Société