Diplomacia e Relações Internacionais
Colombia: vai uma coca espresso ou ristretta?
Matières premières : le cacao cède sa place à la cocaïne en Colombie
Le Monde.fr | 21.12.2012
Par Mathilde Damgé
Il fut un temps, il y a un peu moins de deux ans, où les cours du café et du cacao touchèrent de tels sommets – à plus de 300 cents début 2011 sur le marché new-yorkais pour la livre d'arabica et plus de 2 500 livres sterling la tonne sur le Liffe londonien à la mi-2010 – que les cultivateurs colombiens de coca se laissèrent tenter par le retour à la production d'une denrée légale.
Regarder la vidéo : Colombie : le goût du café
Mais ce temps, à l'image des turbulences de la crise financière et des aléas boursiers des matières premières, est déjà révolu. Car si les prix du café se sont adjugés 75 % en 2010 et ont limité la baisse en 2011 (du moins, ceux de l'arabica, dont la Colombie est l'un des premiers producteurs), le cacao a affiché des variations moins alléchantes.
Les cours des fèves n'ont connu des sommets que pour en retomber aussi sec : ils ont perdu près de 40 % en deux ans, et cabotent aux environ de 1 500 livres livres aujourd'hui. Et pour la banque néerlandaise Rabobank, spécialisée dans les matières premières, les prix du cacao risquent d'être encore instables l'an prochain, écrit-elle dans ses perspectives.
De son côté, l'Organisation internationale du cacao (ICCO) anticipe un excédent de production sur la saison 2011-2012 (achevée en septembre), ce qui pourrait noyer le marché sous une offre trop abondante, alors qu'en face, la consommation ne fait pas preuve d'un appétit marqué. Une tendance confirmée par le recul persistant des concassages de fèves – baromètre de la demande – en Europe et en Amérique du Nord, ainsi que par la reprise des exportations en Côte d'Ivoire, premier fournisseur de la gourmandise.
Et encore, le prix des contrats futurs sur les marchés n'est pas celui que touchent les fermiers colombiens. D'après Bloomberg, les prix des baies cacaotées auraient reculé, répercutant un mouvement identique à celui des marchés, de 5 000 à 3 000 pesos (de 2 à 1,2 euro environ).
STABILITÉ DES PRIX DE LA COCA
De son côté, le prix de la coca est remarquablement stable, même s'il a connu une légère baisse en 2011 : le kilo de feuilles se négocie environ 2 400 pesos (environ 1 euro), tandis que le kilo de pâte de coca peut valoir jusqu'à près de 1,85 million de pesos (758 euros), selon les chiffres du dernier rapport de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC).
De quoi hésiter avec des cultures plus lucratives. Sans compter que la guérilla aide souvent les producteurs de coca à démarrer, leur prêtant semence et engrais. Assurant le transport et payant "cash". Pas de quoi s'étonner, donc, que le nombre d'hectares de coca ait augmenté de 3 % en 2011, soit plus rapidement que le rythme de plantations de cacao.
Lire : Pour les dealers colombiens, rien ne vaut un sous-marin (lien Abonnés)
Résultat, la coca fait son grand retour, sur des terres au climat chaud et humide où les deux cultures se font concurrence. A l'inverse, l'arabica qui pousse en Colombie ne tolère qu'une fourchette de températures restreinte, et s'épanouit davantage dans les hauteurs plutôt que dans les vallées, comme le cacao. Il a également besoin de lumière, alors que le cacao est un amateur d'ombre et peut coexister avec d'autres espèces (caoutchouc, palme...).
LUTTE CONTRE LA GUÉRILLA
La production de coca a certes reculé de 1,4 % à 345 tonnes l'an dernier, mais les sacs de cacao ont maigri de près de 7 % en 2011, après une chute de 20 % en 2010. D'après l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, ils devraient perdre encore 3 % tous les ans. Et le nombre de familles cultivant l'arbre fruitier ne dépasse pas les 20 000, tandis que la plante interdite en nourrit près de trois fois plus.
Cette glissade des prix du cacao constitue une menace au moins aussi importante sur les dix ans de campagne des autorités pour éradiquer la production de drogue que les mouvements de la guérilla. Pour le gouvernement, la lutte contre la plantation de coca n'est pas une question symbolique, mais permet d'assécher directement les finances des rebelles et, gagnant en sécurité, d'attirer les investissements étrangers. Soit 13,2 milliards de dollars l'an dernier, selon Bloomberg.
Autre atout, la plantation de cacao correspond à une stratégie clé pour fournir un revenu aux agriculteurs. Les programmes de reconversion agricole sont même en partie dirigés par l'Etat. L'instabilité des prix, qui ont connu des épisodes de volatilité extrême depuis 2008, fait donc craindre le pire aux autorités.
AMBITION CACAOTIÈRE
La coca compromet aussi les projets des producteurs de monter en puissance : en termes de volume de production, les cabosses colombiennes se classent au 3e rang du continent sud-américain, mais seulement au 11e rang mondial. Or, la Colombie ambitionne de dépasser l'Equateur voisin : le président de la fédération des producteurs, Jose Omar Pinzon, vise 250 000 tonnes en 2018, alors qu'il n'en a produit que 37 000 en 2011.
Pour Cesar Guedes, de l'UNODC, "la hausse des prix a rendu la culture de la coca plus attractive, mais les paysans ont besoin d'alternatives durables si nous limitons sa culture illégale sur le long terme". D'autant que le marché local intéresse de plus en plus les narcos : ainsi, l'un des dérivés de la cocaïne, le bazuco, fabriqué avec des "restes", a été promu récemment.
La Colombie pèserait plus de 40 % dans la production mondiale de cocaïne. Quelque 8 milliards de dollars, soit l'équivalent de 3 % du PIB sont blanchis chaque année en Colombie en dépit du Plan Colombie de lutte contre la drogue, lancé fin 1999 par Bogota avec le soutien de Washington.
Alors que, dans l'un des pays les plus inégalitaires en matière de distribution des terres, 32 % des habitants vivent ou travaillent encore en zones rurales, la culture du cacao est, plus qu'une douceur dans un processus de paix encore chaotique avec les rebelles, un véritable enjeu pour la santé économique de la Colombie. Autosuffisant il y a encore vingt ans, le pays importe aujourd'hui près de la moitié de ses denrées alimentaires.
Lire : Petite histoire de la coca
Lire aussi : En Colombie, les paysans font échec à l'éradication des plants de coca
Mathilde Damgé
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